Comment es-tu arrivé chez Dieu du Ciel! et que faisais-tu avant?
J’ai étudié en restauration et je ne pensais pas qu’aujourd’hui je serais encore dans ce domaine. J’avais décidé de quitter la restauration, j’étais parti en voyage, puis revenu. J’étais inscrit en socio, je m’occupais de mon verger et j’avais besoin d’un « job » pour payer tout ça! C’est mon ami Bruno qui a travaillé ici pendant longtemps qui m’a référé pour un emploi. C’était toute une petite « gang » qui y travaillait et il n’y avait pas souvent d’embauches. J’étais jeune, j’avais 21 ans, alors que la moyenne se situait plutôt autour de la fin vingtaine, début trentaine.
J’ai donc passé une entrevue avec Patricia Lirette. Je suis arrivé avec mon « vibe ITHQuois », bien rasé avec mes documents prêts. L’entrevue s’était assez bien passée, mais à la fin elle m’a dit : « merci, mais je pense que ça ne fonctionnera pas ».
Quand Bruno m’a appelé pour savoir comment ça s’était passé, je lui ai répondu que ça ne marcherait pas. Il ne voulait rien savoir. On a raccroché et 15 minutes après, Patricia m’appelait pour me dire : « ouais on va t’essayer ». (Rires) C’est un peu comme ça que ça a commencé!
Es-tu venu à ton premier quart en cravate?
Non, j’avais un peu plus « catché le vibe »! Une des premières choses qu’on m’a dite en training c’est « le client n’est pas roi ici ». C’est ce caractère-là, un peu hors norme, qui m’a attiré et qui m’a donné envie de renouer avec la restauration.
J’ai grandi en affaires. Les valeurs de travail sont écrites dans ma manière de faire depuis toujours. Quand je suis arrivé ici, il y avait beaucoup de besoins organisationnels et structurels. Comme j’avais été formé là-dedans, je suis assez vite devenu gérant, puis coordonnateur, puis directeur de pub à directeur des 2 adresses et ensuite directeur semi-général des années plus tard.
J’imagine que j’ai un côté ambitieux dans ma vie professionnelle, l’envie de relever de nouveaux défis et de me mettre à l’épreuve, même dans des talles qui n’étaient pas tant les miennes comme la vente.
J’aimais le caractère créatif et bouillant du milieu aussi. La bière dans les années 2000-2010 c’était la folie! On avait le sentiment de participer à un genre de renouveau, un changement social, de manière de consommer. Travailler avec nos voisins producteurs… Je pense ça a été des éléments forts.
En quelle année es-tu arrivé chez Dieu du Ciel!?
En 2004. J’ai toujours été fasciné par l’univers social. Une des choses que j’ai toujours aimé chez DDC! C’est ce sentiment-là. Déjà en étant serveur c’était une manière de faire partie de la nuit, de ce groupe-là, ça me parlait. Puis quand je me suis impliqué en gestion, c’était un peu comme bâtir un village avec ses valeurs, sa culture, ses manières de faire. On a toujours travaillé comme des amis, avec un côté fraternel et un sentiment de communauté dans l’entreprise.
Tu travaillais dans les vergers. Aimais-tu aussi la bière?
J’aimais la bière mais quand je suis arrivé au Dieu, j’étais inculte! On sait de quoi le cidre est fait, on sait de quoi le vin est fait, mais la bière… Pour moi c’était très nébuleux. On était aussi au début des années 2000; il n’y avait pas tout ce qu’il y a maintenant sur les tablettes. Même DDC! n’y était pas!
J’ai donc passé les 10 premières années de ma carrière à découvrir l’univers de la bière en travaillant dedans.
Comment es-tu devenu copropriétaire de Dieu du Ciel!?
J’ai grandi dans une entreprise familiale et je savais que j’allais être dans ma propre « business » à un moment de ma vie. Toute ma famille travaillait dans l’entreprise; mes parents étaient aussi mes patrons donc ça a toujours fait partie de mon univers. J’étais très impliqué dans beaucoup d’aspects de Dieu du Ciel! à ce moment-là. J’amenais des forces complémentaires dans l’équipe qui étaient bien utiles. Ça fait 7 ou 8 ans maintenant.
C’est sûr que les dernières années chez DDC! ont représenté pour moi un vrai défi avec de gros projets comme la rénovation des deux pubs. Quand je suis devenu copropriétaire j’ai aussi pris l’équipe de vente-distribution-export. Au même moment mon premier fils naissait et je démarrais la cidrerie Chemin des Sept. Ça a été une décennie de fou, quasiment trop.
Aujourd’hui, quel est ton champ d’action chez DDC! ?
On s’est récemment redivisé la tâche. On partage la direction générale entre les copropriétaires. Mes derniers gros dossiers incluaient la gestion des grands projets de rebranding et des travaux des pubs. En ce moment, c’est comme un retour au point de départ : la gestion de nos adresses avec leurs directeurs Kevan (McRae, lire son entrevue) et Sandrine (Charbonneau, lire son entrevue) et la direction de la marque avec Leïla Alexandre. Je prends aussi part à la planification des packagings. Je fais de la grande gestion de projets.
Comment s’est passé le déménagement de Saint-Jérôme et pourquoi ça s’est imposé?
On savait qu’avec le temps, on finirait par manquer de pieds carrés pour l’usine. L’occasion s’est présentée d’acheter le bâtiment voisin de la brasserie. On a toujours eu un bon succès avec la terrasse à Saint-Jérôme et le terrain nous donnait l’occasion d’en bâtir une plus grande, mais aussi d’ajouter une boutique. La salle de spectacle voisine se construisait et on a décidé de déménager le pub de son côté.
Est-ce qu’il y a des projets pour l’ancien pub du 259 rue de Villemure?
À court terme, on va revamper la salle sans la transformer pour la rendre disponible pour des événements privés et corporatifs. À plus long terme on aimerait proposer des tours interprétatifs avec une dimension touristique et des visites de la brasserie.
Tu chapeautais le projet de l’agrandissement du brouepub de Montréal, comment s’est passé la réouverture?
Quelle aventure cette rénovation! C’est un projet qu’on planifiait depuis presque dix ans, avant celui du nouveau pub de Saint-Jérôme. Les gens qui visitent le nouveau brouepub de Montréal aujourd’hui pensent qu’on s’est inspiré du décor de Saint-Jérôme, alors que c’est l’inverse! On avait commencé les plans, choisi nos matériaux et nos couleurs… Cette « vibe-là » on l’a retranscrite à Saint-Jérôme lorsqu’on a amorcé la planification, mais ça a bel et bien commencé à Montréal.
Plusieurs pistes avaient déjà été étudiées dans ce projet de rénovation. Quand le bâtiment voisin est devenu disponible ça a été une longue démarche. Obtenir les permis a pris presque 3 ans, puis il y a eu la pandémie au début du chantier. Ensuite, comme c’est un vieux bâtiment, il y a eu des grosses surprises. C’est long 11 mois pour un chantier, mais compte tenu de ce qui a été réalisé je pense que ça a été très efficace.
La réouverture a été réussie, on était émotif. Il y avait quelque chose d’extraordinaire avec ce pub auquel on était attaché depuis bien des années. Ce coin de rue avec son histoire qu’on a mis sur pause et qu’on a ramené…
On est maintenant 4 mois plus tard, le local a été bien accueilli et je pense que les gens de Montréal l’ont adopté assez vite. On a encore plein de défis mais je suis satisfait, c’est une belle affaire. Un seul regret c’est qu’on aurait pu ressortir la cornemuse pour la réouverture ! (Rires)
Quel est ton regard sur la brasserie après 20 ans chez DDC!?
Être en affaires et durer c’est déjà un sacré défi. Ça vient avec des années d’efforts. Ce qui me rend fier c’est que je trouve qu’on a réussi à rester cohérent comme marque.
On arrive à 25 ans, mais je n’ai pas l’impression qu’on est une « business » vieillissante. Au contraire; on vient de finir une vague de renouveaux importants. C’est un bon signe pour notre organisation d’être capable de se repenser 25 ans plus tard.
Parlons de cidre, quelle place a Chemin des Sept, ton autre entreprise, dans ta vie?
J’ai vécu à Montréal pendant presque 20 ans, mais j’ai dû rester en ville six fins de semaines durant ce temps. J’ai toujours eu ce besoin de me promener entre la ville et la campagne, je pense que je serais malheureux sans l’une ou sans l’autre. J’ai besoin de ces deux forces qui sont dures à faire cohabiter! J’imagine que d’une certaine manière, ça me ressemble.
Après ça, dans les dernières années, avec l’achat du second verger ça a dégénéré (rires). Mais l’un nourrit vraiment l’autre. J’aime beaucoup la gestion et la vie en groupe, mais aussi le côté un peu plus « doer » et pragmatique que m’apporte la cidrerie.
À Chemin des Sept, tu produis aussi?
Chez DDC! je suis plutôt dans la stratégie et la gestion. Là-bas je suis dans les opérations, je n’ai pas d’employés. Ça va changer, mais dans les dernières années c’était juste Fred (Frédéric Le Gall, son associé dans Chemin des Sept) et moi. Cette année, pour rendre les choses plus efficaces, on s’est séparé les tâches plus clairement. Fred se charge du volet production, moi je prends le volet agricole et je m’occupe des fermes. On prend les décisions ensemble mais avec plus d’autonomie dans nos secteurs respectifs.
On a surtout eu des employés côté production ces dernières années, avec des aides spécifiques à la cueillette. À partir de l’année prochaine, je suis supposé avoir un responsable du verger avec moi. Ça va changer ma vie!
Ça a commencé quand Chemin des Sept?
C’est allé très vite comme projet. En 2016, mon père décidait de vendre sa ferme et me l’apprenait à Noël. Au mois de mars, on l’avait achetée et on commençait la cidrerie. C’est parti avec un tout petit verger. On pensait que personne ne voudrait de notre cidre sec, funky, sauvage… À l’époque ça n’existait pas vraiment ce genre de produits.
Quand on a démarré, tout le monde nous disait que ça ne marcherait pas. Je pensais m’amuser sur mon petit terrain, avoir des tracteurs et un peu de verger et que ça allait être une « job » tranquille sur le côté. Après la sortie de notre premier Turbo Brut, la demande nous a surpris; ça a vite marché! On a pris le bateau, puis l’occasion s’est présentée d’agrandir le verger puis d’acheter un autre verger… On n’a pas vraiment couru après, on s’est juste dit que ces occasions-là ne reviennent souvent pas donc allons-y.
Tu peux nous parler des collaborations entre DDC! et Chemin des Sept?
La planification du démarrage de Chemin des Sept est allée vite et je me suis tourné vers mes alliés les plus proches qui sont mes partenaires de DDC! pour nous soutenir dans le processus. La collaboration est née comme ça, surtout au niveau opérationnel et du partage de ressources et d’équipements comme des pompes.
Avec le temps on a plus collaboré à l’élaboration de produits. On envisage d’en faire plus et de profiter des opportunités qu’offrent cette belle ferme biologique. On parle avec François (Croué, brasseur en chef du brouepub de Montréal, lire son entrevue) de démarrer éventuellement un levain qui viendrait de la ferme. À suivre!
Y a-t-il une période charnière pour toi à DDC!?
Je me souviendrai toute ma vie comme d’un tour de force le cycle des projets majeurs que nous venons de compléter. À commencer par la refonte de l’image de marque, en passant par le déménagement du pub Saint-Jérôme et en terminant avec la réouverture du brouepub de Montréal. Ça va être le cœur de mon apport à DDC!. Il y a une forme de satisfaction et de fierté d’avoir contribué à repositionner cette « business » que je n’ai pas fondée.
J’ai toujours eu un regard un peu plus externe quelque part. Quand je suis arrivé au pub, je me souviens d’avoir reconnu assez vite son potentiel. Aussitôt qu’on m’a donné un rôle plus important, je me suis dit « ok, est-ce qu’on peut peinturer et enlever les gargouilles? ». (Rires) Ça fait partie de mes projets initiaux de faire rentrer le pub dans son temps.
Que souhaites-tu à DDC! pour le futur ou pour ses 35 ans?
La même chose que ce dont je suis fier pour ses 25 ans : la cohérence. Être encore reconnu comme une « business » qui habite son époque. Je ne vise pas de taille, de volume ou d’espace occupé dans le marché. Que l’organisation soit encore capable de se questionner et de se réinventer et d’évoluer et qu’elle soit encore faite de monde aussi « nice »!