Stephane Ostiguy, fondateur Brasserie Dieu du Ciel!
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Entrevue avec Stéphane Ostiguy

21 Oct 2023 par Leïla Alexandre

Parle-nous de ton parcours, que faisais-tu avant DDC! ?
J’avais commencé une maîtrise en microbiologie appliquée avec une orientation en biologie moléculaire; je jouais dans les gènes de bactéries! C’était en 1993. Après deux ans de maîtrise, j’aimais ça, mais j’ignorais où je souhaitais me diriger. J’ai donc commencé un doctorat dans le même laboratoire, à Armand-Frappier.

J’étais en train de compléter ma dernière année de maîtrise lorsque j’ai croisé J-F (Jean-François Gravel, maître-brasseur, lire son entrevue) pour la première fois. Un étudiant visitait nos laboratoires dans le but de faire un stage d’été. Le gars en question avait les cheveux longs, ce qui était rare en science à l’époque. J’étais dans mon époque métal, je l’avais donc remarqué. J-F avait reçu une bourse d’excellence pour faire un stage entre sa deuxième et troisième année de bac et avait postulé dans le laboratoire à côté du mien. J’ignore pourquoi (le destin!), mais il a finalement abouti dans mon lab. Cet été-là, on est devenu amis. J-F faisait alors de la bière maison qu’il vendait 1$ la grosse quille. Je lui en achetais et je la faisais goûter à mes amis!

Comment le projet Dieu du Ciel! a-t-il émergé?
J’aimais beaucoup ce que J-F faisait alors je lui avais demandé s’il pensait en faire quelque chose. Il m’avait dit qu’il aimerait peut-être ouvrir un brouepub. À cette époque-là, il y avait Unibroue, RJ (auparavant GMT), Boréale, McAuslan, mais je ne connaissais pas réellement ça. Je buvais de la Sleeman Cream Ale, ça venait d’arriver au Québec.

Je restais à 100 mètres du dépanneur Rahman (sur Laurier Ouest) et je l’achetais là. Il était parmi les rares détaillants qui proposaient des bières plus « nichées ».

Mon ami Guy me disait toujours qu’on devait aller au Cheval Blanc. La première fois que j’y suis allé ce fut finalement avec J-F. Je ne sais donc pas pourquoi et comment c’est arrivé, ce fut assez graduel, mais un moment donné nous nous sommes dit : travaillons sur un projet! À ce moment-là, je sortais avec Patricia Lirette (elle aussi étudiante à Armand-Frappier), qui a été la troisième partenaire de l’époque. C’est Patricia qui a vu que le local abritant le Manouchka était à louer en se promenant à vélo. Je connaissais le quartier pour y avoir habité un temps. On ne trouvait rien d’autre, j’aimais le quartier, alors on l’a tout de suite pris.

Est-ce qu’il y avait un plan précis à ce moment?
Ça faisait environ un an qu’on travaillait sur un plan d’affaire. J-F avait commencé à se renseigner sur les équipements, mais le projet était encore embryonnaire. On a signé le bail au 29 Laurier ouest en octobre 1997. Les travaux ont duré 11 mois. On avait peu d’argent pour démarrer alors on a fait plusieurs rénovations par nous-même, jusqu’à creuser une partie de la cave! On a parti ça avec 375 000$ incluant l’équipement. C’est une vraie blague; ça serait tout simplement impossible de nos jours! Les règles municipales étaient bien moins strictes aussi! Rien n’a été vraiment compliqué au niveau des permis. On était le 6e permis brasseur artisan à Montréal.

À quoi ressemblait le Mile End quand DDC! a ouvert sur Laurier?
Quand on a ouvert, tout le monde s’entendait pour dire que St-Laurent s’arrêtait à Mont-Royal. Au nord de Mont-Royal, il ne se passait plus rien; c’était mort! C’était un quartier résidentiel assez tranquille. Il y avait des restaurants qui ouvraient et qui fermaient. Le Manouchka avait été là un bout, mais ils ont fini par fermer. Dans le local du Henrietta, (qui était avant le Baldwin), il y avait à l’époque un bar appelé Le Minuit. C’était du monde d’âge mur qui fréquentait l’endroit. C’était le genre de place qu’il y avait là! Le quartier s’est mis à se développer tranquillement les années suivants l’ouverture de DDC!

Quelles étaient les inspirations quand vous avez ouvert DDC!?
On avait évidemment fait le tour des brouepubs à Montréal : le Ch’val, le Sergent, le Brutopia, la Cervoise, l’Amère à boire… Mais personnellement je n’avais pas vraiment d’inspiration en tant que tel. Le but c’était de faire la meilleure bière possible. Une bière de qualité peu importe ce que ça allait coûter. On voulait que les clients l’aiment et reviennent, puis on voulait un environnement de bar « cool ». On voulait que tout le monde se sente bienvenue. À cette époque-là, à Montréal, il y avait beaucoup de cliques de bar. Lorsque tu étais dans la clique, tu étais traité différemment, tu avais des gratuités. On ne voulait pas ça. On voulait traiter tout le monde pareil. Tu sais, l’inspiration c’était aussi le peu d’argent qu’on avait!

Pourquoi l’inspiration médiévale, religieuse?
Ce n’était pas vraiment voulu en fait! Je pense que c’est un peu venu avec les premières illustrations de Yannick Brosseau. Je pense aussi qu’à l’époque, les gens percevaient un peu la microbrasserie comme ça! Je ne sais pas pourquoi d’ailleurs. Il faut dire qu’il y avait aussi une mode médiévale. C’était cool d’aller au Dragon Rouge par exemple (un restaurant à thématique médiévale). C’était dans l’air du temps je pense. Peut-être aussi à cause du nom des bières!

À l’ouverture, tu t’occupais de quel volet chez DDC! ?
Tout le monde faisait tout! Je brassais, je faisais le ménage, je servais, je faisais la bouffe, je faisais les commissions, la comptabilité; tout! On était 5 pour tout faire! Il y avait J-F, Patricia et moi. Ma blonde de l’époque (Danielle Dennie) venait aider les fins de semaine et Myriam (la conjointe de J-F) venait parfois nous donner un coup de main. « That’s it »! Au début, on était ouvert 7 jours, mais on a rapidement fermé les dimanches. Ça nous prenait une journée de congé!

Quand on a ouvert, j’étais encore au doctorat, mais j’ai quitté quelque chose comme deux semaines après, sans jamais terminer mes études et obtenir mon diplôme de Ph. D.! J-F s’était un peu fait mettre à la porte de la maîtrise 2 mois avant l’ouverture! (Rires)

C’était une vraie blague! On était à Armand-Frappier toute la semaine, donc J-F avait donné le numéro du laboratoire à tous nos soumissionnaires pour le projet. On avait toujours des appels et c’est notre directeur qui répondait. J-F passait 30 minutes à parler de cuves et de matériel avec le fournisseur. Un moment donné, il s’est tanné! Il a demandé à J-F de choisir. C’était au début de l’été. J-F a quitté et n’a jamais eu sa maîtrise.

Il y avait combien de bières au menu à l’époque?
En moyenne, on essayait d’en avoir 6! Comme au début c’était tranquille, on arrivait à maintenir ça. On servait uniquement de nos 6 cuves de garde. On n’avait pas de chambre froide.

Avez-vous fait de la publicité au début pour vous faire connaître?
Un peu dans le Voir! Mais pas pour l’ouverture. On n’avait pas d’argent! On l’avait juste dit à nos chums. Il y avait environ 300 personnes. On essayait plutôt d’avoir des articles. D’ailleurs, on avait demandé à un journaliste du Voir de faire un article sur Dieu du Ciel!, ce qu’il a fait, et c’est là que nos faux noms sont apparus! (Rires)

Vos faux noms?
Le journaliste avait écrit Jean-François Marcoux et Stéphane Desjardins si je ne me trompe pas. Des années après, ces noms-là revenaient toujours dans divers articles car les journalistes allaient pêcher dans l’article original du Voir pour écrire leurs chroniques. Nos pseudos sont donc restés longtemps en circulation!

Comment était le paysage brassicole lui quand vous avez ouvert?
Le monde connaissait Boréale et surtout Unibroue : La Fin du monde, la Maudite…  À Montréal, il y avait quand même un petit monde de bière. On voyait une culture s’installer. Les 6 brouepubs de l’époque fonctionnaient bien. Comme je commençais moi-même à m’intéresser à ça, je n’avais donc pas beaucoup de références ni de connaissances brassicoles. C’était un vrai monde de geeks.

Il y avait un groupe qui gravitait autour de Mario D’Eer, qui essayait d’installer une culture bière au Québec. Ça tournait beaucoup autour du Festival de Bières de Chambly, que Mario D’Eer avait créé. Il y avait aussi les fins de semaine de concours de brassage amateur dans le bois! Ça avait lieu à chaque année. C’était le gros party! Tout le monde apportait sa bière maison et on notait. Internet en était à ses balbutiements; il n’y avait donc pas énormément de références sur le web.

Bref, je pense qu’on était à une époque où chaque nouvelle sortie dans le monde de la bière créait le paysage brassicole. Je pense que Dieu du Ciel! a contribué à le créer à sa façon. Ça démarrait vraiment.

L’arrivée de ratebeer a beaucoup contribué à changer le paysage brassicole sur le web au début des années 2000. Nos bières ont commencé à y être notées. C’est là que la Péché Mortel a commencé à se démarquer d’ailleurs. À un certain moment, elle était no.2 au monde! Et les notes provenaient seulement de gens qui étaient venus la déguster au pub puisque nous n’étions pas distribués.

À partir de quel moment vous avez réalisé que Dieu du Ciel! prenait de l’ampleur et qu’il fallait grossir ou ajouter des équipements?
Je ne me souviens plus exactement quand! Ça a dû prendre 2-3 ans. Vers 2001 ou 2002, on commençait à manquer de bière. On avait la chambre froide, mais on n’accumulait pas tant que ça de bière. À ce moment-là, le printemps était notre saison occupée. Le monde sortait beaucoup et le bar était plein tout le temps! Il fallait commencer à acheter de la bière de temps en temps. On n’avait pas grand choix : on avait de la Boréale ou de la McAuslan. Vers 2002-2003, ça allait assez bien pour qu’on puisse commencer à penser embouteiller nos bières.

Et c’est là que le projet de Saint-Jérôme est arrivé?
Oui, à peu près là. On avait déjà commencé à agrandir la brasserie : on avait ajouté des cuves de garde, la chambre froide, etc. Mais on était tanné de manquer de bière. Il y a eu un projet qui était de s’associer avec une autre brasserie. C’était un partenariat à 3, où les parts auraient été divisées de façon égales. Ça n’a finalement pas fonctionné et c’est à ce moment-là qu’on a décidé de travailler sérieusement sur un projet pour distribuer nos bières. C’était en 2005. En 2006, Patricia nous a vendu ses parts et c’est là qu’on est allé chercher Luc Boivin et Isabelle Charbonneau (lire son entrevue).

C’étaient des amis?
Luc était un chum, on le connaissait bien! On avait du fun ensemble et c’était un bon brasseur maison. Il travaillait chez Boréale comme électromécanicien. Dans ce temps-là, J-F et moi on cherchait un local dans Hochelaga. On avait ce rêve de trouver une vieille bâtisse industrielle. Je voyais vraiment le potentiel. Comme ils habitaient à Prévost, Isabelle et Luc étaient moins intéressés par ce secteur. La bâtisse abritant le IGA au centre-ville de Saint-Jérôme s’est finalement libérée. C’est donc là que nous avons décidé d’établir la brasserie industrielle et le pub.

Quel était l’objectif derrière l’ouverture de Saint-Jérôme?
Répandre la bonne nouvelle! (Rires) Faire mieux connaître nos bières et évidemment réussir à en vivre. Avec le brouepub, on commençait à en vivre, mais on sentait qu’on arrivait à un point de saturation et surtout, là on ne fournissait plus! Dans les gros moments de l’année, on tombait à une ou deux bières au menu. Si on avait un gros jeudi ou un gros vendredi, il ne restait que 2 bières à l’ouverture le samedi, dont une allait finir sous peu. Il fallait donc absolument aller chercher d’autres bières, mais ce n’était pas ce qu’on voulait. Les gens débarquaient chez DDC! et buvaient de la McAuslan et de la Boréale! On ne pouvait plus agrandir le brouepub : on avait déjà 8 cuves de garde et on manquait de place. Ça faisait aussi en sorte qu’on pouvait juste brasser des bières qui se faisaient rapidement. C’était très limitant. On ne faisait plus de bières fortes ni de lagers; c’était bien trop long! Il fallait que la bière se fasse en 2 semaines, sinon on n’y arrivait pas. Un des buts clairs était donc aussi de fournir Montréal. Et on voulait avoir une vie un peu plus confortable.

Comment ont été sélectionnées les premières bières qui ont été embouteillées à Saint-Jérôme?
On en a beaucoup parlé à 4! On avait sélectionné ce qui fonctionnait le mieux au pub et dans les festivals qu’on faisait. À ce moment-là, la Rosée d’Hibiscus était un grand succès dans les festivals et au pub, donc ce n’était pas une question pour personne. Il y avait aussi une certaine logique de vente. Il fallait avoir un équilibre entre des bières accessibles et des bières phare de DDC!. La Péché Mortel ce n’était pas une question car elle était sur ratebeer et on l’exportait déjà aux États-Unis.

On voulait au moins une blonde (la Païenne) et une rousse (la Fumisterie). Puis rapidement, on s’est mis à avoir des bières saisonnières comme la Solstice d’Hiver, la Rigor Mortis Abt, la Solstice d’Été. Elles fonctionnaient bien au brouepub et on a donc voulu les intégrer tranquillement, mais pas sur une base régulière.

Est-ce que le choix de la bouteille 341 ml a été évident?
À l’époque oui et pour toutes sortes de raisons. C’était premièrement le format commun. La canette n’était pas accessible. Autant pour l’équipement que pour le contenant lui-même, qui venait en « truckload » uniquement. La bouteille 341 ml était réutilisable, consignée et utilisée par les grandes brasseries, donc disponible tout le temps! Comme c’était la bouteille utilisée par Molson/Labatt, les gens savaient instinctivement qu’ils pouvaient la rapporter à l’épicerie même si elle était étiquetée Dieu du Ciel!. C’était aussi ce qui était le moins cher. Il y avait donc une logique dans tous ces facteurs.

Pourquoi l’exportation a-t-elle commencée, à quel moment?
Ça a commencé au début des années 2000, alors qu’on commençait à voyager. J-F avait voyagé un peu plus que moi en Europe, avec Mario D’Eer entre autres. Mes premiers voyages étaient surtout aux États-Unis. J’avais rencontré Larry Kress lors de notre deuxième participation au festival de Chambly. Il m’avait parlé d’un festival à Chicago : le Cask Ales Festival. On est donc allé là.

C’était vraiment l’âge d’or des festivals et des événements de bières. L’industrie brassicole explosait aux États-Unis. C’était vraiment le fun, tu découvrais plein de choses! C’était encore à dimension humaine aussi. Donc après notre visite au Cask Ales, j’ai eu envie d’y participer en tant que brasserie. Comme c’était aux États-Unis, ça prenait un importateur. J’ai entamé des recherches, mais la plupart des distributeurs approchés refusaient car notre proposition était peu alléchante. On voulait juste envoyer 2 casks! Les Shelton Brothers ont finalement accepté de travailler avec nous. Ils avaient vu que la Péché était notée 2e au monde sur ratebeer et ils voulaient importer nos bières de façon régulière. Ça nous intéressait, mais on ne fournissait pas au brouepub. Un moment donné en 2004, on a décidé de faire un brassin de plus de Péché Mortel au pub de Montréal pour envoyer aux États-Unis. On avait embouteillé 500 litres de bière à la main dans des 660 ml. À cette époque, Bim (Luc Lafontaine – Godspeed Brewery) travaillait pour nous et nous avait aidé. 50 caisses de 12 grosses bouteilles. On avait empilé les caisses sur une palette sur le trottoir pour qu’un camion puisse les ramasser, le tout à la main! Il n’y avait pas de « loading dock » à Montréal. On a fait ça 2 fois. La 2e fois, on a envoyé 100 caisses (donc 2 brassins de 500 litres!). Lorsqu’on a ouvert Saint-Jérôme, on a pu commencer à faire des envois un peu plus réguliers de Péché Mortel, au grand bonheur des Shelton Brothers, qui voulaient essayer toutes nos bières. On s’est donc mis à envoyer d’autres variétés. Le marché à l’époque n’était pas encore saturé, donc on pouvait se permettre d’envoyer différentes choses. La demande était surtout vers les grosses bières, c’est ce que les geeks voulaient!

Puis ça a fait effet boule de neige?
Oui. On s’est mis à voyager de plus en plus pour la bière et dans nos voyages, on rencontrait parfois des gens qui étaient intéressés à nous distribuer. C’est ce qui est arrivé en Suède d’ailleurs. C’est à la suite d’une participation à un festival de bières à Stockholm qu’on a rencontré notre distributeur Wicked Wines. L’ambassadeur du Canada avait réussi à avoir un kiosque de bières canadiennes à ce festival et avait demandé à Steven Beaumont de Toronto de faire une sélection de bière canadienne, dont nous avons eu la chance de faire partie.

Quelle était ta vision de ce que devait être DDC!
Pour moi, c’était assez clair dès le départ : on allait mettre tous nos efforts dans la qualité de la bière, peu importe le prix! On ne voulait pas « cheaper » sur les ingrédients pour que la bière coût 50 cents de moins au bout. Pour l’achat des équipements, c’était la même chose.

Mis à part ça, il était important pour moi d’avoir une vision d’ensemble pour l’entreprise. L’honnêteté et l’intégrité c’est non négociable. J’ai toujours eu une vision à long terme : pour moi l’important était de prendre des décisions qui n’allaient peut-être pas rapporter maintenant, mais qui dans le temps seraient payantes, notamment pour la réputation. Je voulais également qu’on ait de bonnes bases solides pour traverser les moments plus difficiles lorsqu’ils allaient arriver.

Je souhaitais bâtir sur le long terme avant toute chose. Je n’ai jamais voulu être la brasserie du moment par exemple! Dans tous les aspects de ma vie, je crois au karma. Il y a beaucoup d’intangible là-dedans, tu vois rarement les résultats de tes actions et décisions dans un court laps de temps, et il est difficile d’associer tel bon résultat à telles actions faites quelque part dans le passé. Je trouve important que mes actions aient des répercussions positives et non négatives sur mon entourage et sur moi-même.

Je pense que si tu travailles pour le bien général, dans un esprit d’éthique, en ne cherchant pas à faire le plus de profit possible au détriment de tes associés, partenaires, clients ou employés, en ne cherchant pas à abuser des gens ou à profiter de leur naïveté ou ignorance, en cherchant toujours à ce que les relations d’affaires soient gagnantes-gagnantes, ça ne peut que te revenir sous d’autres formes. Pour moi c’était important de bâtir un karma positif autour de la brasserie, basé sur le respect, l’intégrité et l’honnêteté. C’est la base indestructible de DDC!. Si DDC! était autre chose que ça, je ne serais plus là! Je ne peux pas séparer ma personne de l’entreprise. Je la vois comme une extension de moi-même.

Est-ce que tes goûts ont évolué au fil des années?
C’est sûr que ça a évolué avec le temps. Quand on a parti Dieu du Ciel!, les IPA américaines n’existaient pour ainsi dire pas. Ça existait aux États-Unis oui. Au Québec, ce qu’on avait de plus houblonné devait être la McAuslan Pale Ale. Au début je découvrais beaucoup les bières belges. Il faut dire que J-F en brassait pas mal! J’ai toujours été un amateur de bières fortes et sucrées, comme les scotch ales, barley wines. J’aimais pas mal tous les styles!

À un moment donné, notre ami Larry Kress allait avoir 50 ans. Avec Luc Boivin, on a décidé de brasser une bière pour souligner son anniversaire. À l’époque, Larry aimait beaucoup une bière américaine qui se nommait la Two Hearted Ale de Bell’s Brewery. Il en avait même brassé une version maison à partir d’une recette qu’il avait trouvée dans un magazine américain. On a donc décidé d’en brasser une version au brouepub. Je pense qu’à l’époque on l’avait appelé « Les Hommes Chanceux » parce que Larry avait donné ce nom à son clone maison. À cette époque-là, c’était probablement la bière la plus amère qu’on avait brassée. On a tous vraiment aimé ça! On avait quand même la Vaisseau des Songes, qui était amère, mais dans un style très britannique et brassée avec des houblons classiques anglais. Dans les standards de nos jours, c’était quand même assez « mollo »! C’était donc notre première IPA plus américaine, moins maltée avec des arômes de houblon à l’avant-plan. Avec le temps, c’est finalement devenu la Corne du Diable. À l’époque c’était une des bières amères du Québec, qui pouvaient se comparer à ce qui se faisait aux États-Unis.

Comment tu as vécu le changement d’image de marque?
J’étais content! Tout le monde sentait qu’il fallait que ça se fasse. Le défi était surtout de trouver l’équilibre entre ce que nous étions et la nouveauté. Je pense qu’on y est arrivé! On sentait qu’il y avait un essoufflement de la marque pour plusieurs raisons : la concurrence, la bouteille, l’imagerie qui vieillissait… il fallait rappeler aux gens qu’on existait!

Est-ce que l’indépendance est importante pour toi?
Extrêmement! Pour moi c’est primordial. Ne serait-ce que pour conserver la vision qui est la nôtre et conserver nos valeurs de base intactes. Est-ce que Dieu du Ciel! va un jour être autre chose? Peut-être, mais tant que je serai chez Dieu du Ciel! ça m’étonnerait. Je n’ai pas envie que d’autres personnes m’imposent leur vision.

Que souhaiterais-tu à DDC! pour les prochaines années?
De rester pertinent dans ce qu’on fait et dans le monde de la bière, tout en restant fidèle à nos principes de base. De continuer à explorer et à évoluer. Je n’ai pas un grand besoin d’expansion. Pour moi, c’est important d’arriver à un équilibre qui permette aux gens d’être bien payés.

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