Parle-nous de ton parcours, que faisais-tu avant de créer DDC! ?
J’ai fondé Dieu du Ciel! quand j’étais au CEGEP comme brasseur maison. Avant ça, j’étais au secondaire tout simplement. J’ai toujours su que je travaillerais dans un domaine lié aux sciences, de près ou de loin. Au CEGEP donc, j’avais un emploi d’été comme peintre en bâtiment. Mon patron faisait de la bière maison. Un soir, il m’a fait goûter sa bière et j’ai trouvé ça intéressant. Lorsqu’il m’a dit que ça ne coûtait pas très cher à produire, j’ai tout de suite voulu en brasser pour mes partys (rires)! C’est un peu comme ça que je me suis mis à brasser de la bière, sans vraiment avoir aucun objectif professionnel là-dedans. C’était clair que je me dirigeais en biologie, vers la recherche.
Il reste que j’aimais beaucoup ce passe-temps et de fil en aiguille, je suis un peu tombé dans le piège de vraiment aimer ça brasser. Je me suis mis à vouloir plus comprendre le processus de fabrication de la bière, ainsi que la culture et l’histoire brassicoles.
C’est ce que j’aime de la bière : c’est un procédé qui rejoint les sciences, l’économie, l’ingénierie, l’histoire, la politique… Au niveau professionnel, il y a du marketing, du design… Il y plein de chose qu’on peut y rattacher. Cette diversité-là m’intriguait.
J’ai donc commencé à donner des noms à mes bières et j’ai appelé l’une d’entre-elles « Dieu du Ciel! ». Je voulais donner un nom à ma brasserie et j’essayais de trouver quelque chose autour de L’abbaye de « Saint-Cossin! », mais sans succès.
Tu étais donc déjà très inspiré par la culture brassicole belge?
Effectivement ce qu’on trouvait en importation ici était beaucoup de la bière belge. Unibroue est arrivé vers 1993, à l’époque où je commençais à brasser. Ils avaient une iconographie assez forte et inspirante aussi. Mais oui, ce que j’aimais était le côté un éclectique du brassage belge par rapport aux « rousses » et aux « blondes » brassées au Québec. Ça m’appelait cette culture-là. J’ai finalement décidé de nommer ma brasserie « Dieu du Ciel! ».
Pourquoi? Y a-t-il eu un déclic?
Bien c’est sûr que je n’ai pas réussi à trouver mon nom d’abbaye! C’est un peu arrivé comme ça à vrai dire. Dieu du Ciel! comme dans « Dieu du Ciel! que c’est bon! ». Comme il n’y avait vraiment pas d’objectif marketing lié à ce projet-là, c’est juste resté comme ça. Puis mon « chum » Erych a commencé à me faire des dessins, des petits logos à gauche et à droite, dont un ange qu’on a finalement gardé pendant de nombreuses années!
En parallèle à cela, je continuais mon parcours à l’université. Je me dirigeais plutôt vers l’écologie, mais quand j’ai réalisé que c’était plutôt des statistiques et peu de concret, j’ai bifurqué vers les biotechnologies, donc de produire quelque chose avec des fermentations. Ça rejoignait plus mon côté pratique. Chemin faisant, je suis arrivé à la maîtrise avec une forte passion envers le brassage maison et j’ai rencontré Stéphane (Ostiguy, cofondateur, lire son entrevue). Un jour, Stéphane m’a dit : « Ta bière est vraiment bonne, il faudrait faire de quoi avec ça ». Voilà! Dieu du Ciel! était né.
Donc tu rencontres Stéphane, vous décidez de partir un brouepub, comment ça se passe ensuite? Comment vous mettez en place tout ça?
Il a d’abord fallu convaincre les banques! Ça ça a été extrêmement difficile. On avait déjà ciblé que c’était beaucoup plus facile et sécuritaire de partir un brouepub pour vendre sur place. À cette époque-là, la plupart des microbrasseries ouvraient et faisaient faillite. Boréale, McAuslan et Unibroue ont réussi à se tailler une place, avec un certain volume, mais les autres qui partaient leur projet finissaient souvent par fermer. Pour nous c’était donc logique de partir un brouepub et de ne pas avoir de logistique de distribution. Ça nous permettait aussi de brasser plusieurs sortes de bières et d’être plus flexibles. En s’installant à Montréal, dans un quartier central où il y avait beaucoup de gens, on se disait que si on réussissait à aller chercher 1% du marché, que ça allait faire quand même beaucoup de monde. Au début, on cherchait un peu plus sur le Plateau, mais on ne trouvait pas de local adéquat. On a finalement trouvé ici, dans le Mile-End, dans un quartier légèrement plus décentré, ce qui a eu ses avantages et ses inconvénients. Il y avait moins de concurrence! On est tout de suite devenu un bar de quartier qui était différent des autres places. Puis en plus, rapidement les gens qui aimaient la bière acceptaient de se déplacer un peu plus loin. Juste trouver le local, ça a pris plusieurs mois. Monter le financement, trouver des garanties pour « backer » les prêts… Tout ça a été vraiment compliqué parce que les banques nous voyaient comme un restaurant ou un bar. T’sais la plupart des bars et restaurants ferment après 4-5 ans. On était aussi vers la fin de la guerre des motards… Il y avait donc des réticences. On s’est donc lancé avec un budget très modeste. C’est pour ça que c’est nous qui avons fait presque toute la démolition et une partie des rénovations. On avait aussi décidé de mettre la majeure partie du budget sur l’équipement. Si on voulait brasser de la bonne bière, ça prenait un bon équipement. On a été chanceux car à cette époque, il y avait deux manufacturiers au Québec qui se faisaient concurrence. L’un d’eux faisait des équipements très de base, mais pas si bon marché que ça pour ce que c’était et l’autre essayait de se positionner avec des prix similaires, mais des équipements beaucoup plus performants. On est donc allé vers le deuxième. Ce choix-là a été vraiment payant car ça nous a permis de vraiment mieux contrôler nos bières. On a d’ailleurs toujours le même équipement! On a eu les clés du local le 11 octobre 1997, le jour de mes 25 ans, puis on a ouvert 11 mois plus tard exactement. Ce qui est drôle c’est que pour nos récentes rénovations, on a aussi ouvert exactement 11 mois plus tard, jour pour jour! Comme quoi toute est dans toute!
Comment as-tu trouvé les équipements nécessaires?
On s’entend qu’on était dans la phase pré-internet. J’avais internet à l’université et une connexion bien médiocre à la maison. On travaillait avec des moteurs de recherche comme Netscape ou Yahoo… Google n’existait pas encore! Il y avait une revue de bière au Québec dans laquelle certains manufacturiers mettaient parfois des petites annonces. Il y avait aussi des revues américaines comme le Zymergy du American Homebrewer Association et le New Brewer du Brewer’s Association, dans lesquelles on trouvait notamment un répertoire de fournisseurs de pièces et autres.
Parfois, les compagnies mettaient une adresse web, mais il n’y avait rien à voir. Parfois, ils mettaient une adresse courriel, mais tu n’avais aucune réponse. Finalement tu les appelais et ils te disaient : « Je vais t’envoyer un catalogue par la poste! » ou « Je vais t’envoyer un fax! ». (Rires)
À l’université, les fax étaient utilisés pour envoyer des articles scientifiques. Nous on se faisait envoyer des fax par nos fournisseurs potentiels au secrétariat! On se faisait donc appeler à l’Intercom à chaque fois. À un moment donné, on s’était fait dire que c’était « bizarre un peu les fax que vous recevez »… Ils nous ont donné l’avertissement d’arrêter de faire ça! (Rires).
Comment s’est passé la transition de brasseur maison à brasseur dans un brouepub? As-tu eu une formation?
Je n’avais jamais brassé dans une brasserie! C’était vraiment difficile d’aller brasser dans une brasserie; j’avais essayé! Même des visites, les brasseurs gardaient ça très secret. Je n’avais jamais travaillé avec une pompe de ma vie! Les compagnies savaient que les gens qui achetaient de l’équipement avaient souvent peu d’expérience donc elles venaient faire le démarrage sur place avec une formation. On se basait sur mes recettes de brasseur maison, on faisait le « scale up » et on faisait le premier brassin ensemble. Mais passer de 25 litres à 500 litres, c’est toute une marche!
Donc tu ne t’étais pas vraiment pratiqué avant?
Pantoute! On s’est lancé! On s’entend que les premiers brassins ont fini au drain. Ce sont des choses qui arrivent. Mais assez rapidement, ça a ressemblé à quelque chose! On avait des livres et des revues, mais il n’y avait pas de vidéos de brassage sur Internet à l’époque.
On a été chanceux car rapidement, on a rencontré Greg Noonan, qui m’a dit que je pouvais l’appeler si je rencontrais des problèmes.
Comment l’as-tu rencontré?
C’est vraiment une chance! Notre manufacturier faisait toujours une démonstration de brassage avec une petite brasserie de 100 litres au Festibières de Chambly. Donc dans la journée il brassait une bière, puis à la fin de celle-ci il remplissait des chaudières de 20 litres de moût qu’il vendait à l’encan pour une financer une association caritative. Notre manufacturier m’avait donc demandé si je voulais brasser avec lui le dimanche. En parallèle, il avait parlé à Marie D’Eer (qui organisait l’événement jadis) pour qu’on puisse participer à l’événement même si on n’avait pas encore reçu notre permis de brassage. C’était deux semaines avant notre ouverture. On a finalement eu un kiosque le dimanche. En toute naïveté, on est arrivé avec seulement 3 x 20 litres de Blanche de Septembre. Après 1h30 on n’avait plus de bière! Stéphane a dû retourner au brouepub en panique pour remplir des fûts. Greg Noonan aimait bien de festival-là, donc même si c’était au Québec, il avait toujours son kiosque. Comme il travaillait lui-aussi avec les Spécialistes de l’Acier Inoxydable pour ses équipements, il traînait souvent dans leur kiosque. Il est donc venu goûter à ma bière et l’a bien aimé. On s’est mis à jaser et ça a cliqué!
Il nous avait invité à son dixième anniversaire en novembre. On est allé et on a passé la soirée avec lui. Ça a scellé notre amitié.
Comment s’est développé le marché brassicole au Québec après l’ouverture de DDC!?
J’aime bien dire qu’on était dans une sorte de troisième vague. La première vague ça a été Boréale, GMT (RJ), McAuslan. On pourrait dire que la première vague s’est terminée avec Unibroue. Il y a peu de brasseries qui existent encore de la deuxième vague. Peut-être Gambrinus. Rapidement, le petit marché s’est saturé et alors c’est devenu difficile. Dieu du Ciel! a plus fait partie d’une troisième vague, composée principalement de brouepubs, qui avaient des objectifs plus modestes. On peut parler de la Microbrasserie de Charlevoix, l’Amère à Boire… Beaucoup de ces brasseries-là existent toujours.
Quand on a commencé, on est vraiment arrivé avec l’idée de proposer plusieurs styles : je voulais faire de la bière belge, de la bière allemande, de la bière anglaise… Je pouvais avoir plusieurs levures dans ma brasserie car je suis microbiologiste et je peux cultiver mes levures moi-même. On voulait avoir un menu diversifié au sein de la même brasserie. Rapidement, on est sorti un peu des frontières, on a ajouté des ingrédients spéciaux ici et là. Et ça c’est certain que ça a fait beaucoup jaser. On avait beaucoup de nouveautés. À ce moment-là, il y avait à peu près juste le Cheval Blanc qui brassait en dehors de la boîte. C’était d’ailleurs une grande inspiration. Tant au niveau de la “vibe” du bar que des bières. Jérôme travaillait ses recettes en fonction de l’équipement qu’il avait et il proposait des bières belges pas tout à fait belges. Il se donnait cette liberté-là!
On (les brasseurs de l’époque) a américanisé certains styles de bières, on s’est approprié des styles qui en sont devenus d’autres qu’on ne pouvait catégoriser… Rapidement, un genre québécois s’est développé. En fait, un style propre à l’Amérique du Nord au complet. Justement en faisant plus nos choses qu’en voulant recréer des choses.
Comment puisais-tu ton inspiration pour des bières comme la Rosée d’Hibiscus?
À ce moment-là j’avais commencé à voyager un peu plus. J’allais boire les bières dans leur contexte et je recadrais certaines de mes recettes. Travailler avec des ingrédients complètement “non standards” dans la bière c’était justement dans l’idée de créer quelque chose d’unique et de propre à Dieu du Ciel! C’était vraiment des inspirations de cuisine, de goûts, d’arômes et de voir si ça pouvait fonctionner dans la bière. Je connaissais l’hibiscus car ma blonde fait de la danse africaine et je fais de la percussion. En Afrique, le jus de bissap c’est quelque chose d’assez courant. J’y avais déjà goûté, mais c’est souvent assez sucré. En regardant la télé je suis tombé sur une dame de Côte d’Ivoire qui expliquait comment ça se faisait. Je trouvais ça intéressant et j’ai appris qu’on pouvait facilement acheter la fleur. J’ai donc fait une infusion à la maison pour voir le potentiel. C’était tellement “tart”, comme du jus de canneberge. Au niveau couleur, ça “flashait” et l’arôme était vraiment trippant! Je me suis dit qu’il y avait probablement moyen de faire quelque chose avec ça. À ce moment-là, il n’y avait pas une tonne de festivals de bières. Il y en avait deux gros : le Mondial et le Festibières de Chambly. Chambly tombait près de l’anniversaire de la brasserie et à notre anniversaire on essayait souvent de brasser une nouvelle bière. Pour le Mondial, j’essayais souvent de faire une bière hors norme qui fasse parler de la brasserie. J’avais donc mon idée pour le Mondial. J’allais brasser une bière à l’hibiscus, qui allait être rose. Les gens allaient trouver ça drôle, ce serait un « one shot deal » puis on n’en parlerait plus après. Et bien c’est exactement le contraire qui s’est passé. Oui la couleur a vraiment attiré le regard, mais la petite dose d’acidité, mêlée à la fraicheur du blé, ça a super bien marché et c’est devenu une bière phare.
La Péché Mortel, comment c’est arrivé?
Celle-là, c’était plus une réaction! Dans ce temps-là, il y avait beaucoup de bières qui prétendaient être des Stouts au café. Je les trouvais toujours décevantes car elles ne goûtaient pas ou peu le café. Tant qu’à faire une bière au café, il faut en mettre! Si je fais une bière aux framboises, je ne vais pas mettre qu’une seule framboise dans le fermenteur! C’était donc un peu une réaction à ça. La journée où j’allais faire une bière au café, les gens allaient savoir tout de suite qu’il y a du café dedans! Je n’aurais pas besoin de le dire.
C’était un peu la même chose pour la conception de l’Aphrodite. Je voulais que les gens goûtent tout de suite le cacao.
J’allais donc mettre beaucoup de café et pour avoir le “body” qui allait balancer tout ce café, le style qui s’imposait à moi était le stout impérial. Le fait d’avoir un brouepub et de brasser en petite quantité nous permettait cette latitude-là! Même si l’ingrédient coûtait très cher, la marge de profit était suffisante pour se lancer. Lorsqu’on l’a brassé pour la première fois, je savais qu’on tenait quelque chose car même dans le fermenteur ça sentait bon!
Rapidement, les gens ont capoté sur le goût. C’était vraiment spécial car en 2001 le café froid n’était pas du tout tendance. Ça n’existait pas! Donc l’idée de faire une bière au café pouvait sembler encore plus étrange.
Est-ce que ta première version était beaucoup plus élevée en caféine que la version actuelle? La recette a-t-elle beaucoup évoluée?
Non, c’est assez étonnant! La version originale ressemble quand même assez à ce qu’on fait aujourd’hui. J’avais essayé plusieurs ratios de café en micro-infusion pour voir jusqu’où on pouvait aller avant que ça ne devienne désagréable.
Il y a quand même aussi une logistique de production au sens où le café ne doit pas causer de bouchons; ça doit pouvoir se filtrer!
J’avais fait quelques tests et le ratio que j’avais choisi de conserver est encore à peu près le même aujourd’hui. La seule chose qui a évolué est la façon d’infuser. Elle était difficilement reproductible à Saint-Jérôme; c’était trop de travail et il y avait beaucoup de variabilité d’un brassin à l’autre. Il a fallu donc simplifier le travail et uniformiser les brassins.
Est-ce que c’est le même café qu’au début?
Pas tout à fait! Au début je travaillais avec Café Rico, mais sa production était trop petite pour poursuivre avec lui lorsque nous avons voulu transférer la production à Saint-Jérôme. Il aurait fallu qu’il fasse plusieurs torréfactions de suite pour une seule commande. On a donc bifurqué vers Café Mystique, qui est un petit torréfacteur indépendant, mais assez gros pour être capable de ne faire qu’une ou deux torréfactions pour une commande, qu’il « blend » ensuite. Il a aussi ses fèves pour l’année; on sait donc que d’un brassin à l’autre il n’y aura pas beaucoup de variabilité.
Pour le café, on travaille avec un producteur du Mexique. Ce n’est pas nécessairement le café que je bois dans ma cafetière à la maison, mais c’est le café qui me donne le profil dont j’ai besoin pour faire la Péché Mortel.
Comment s’est passé la transition entre le brassage au brouepub et à la microbrasserie ?
On voulait partir avec un plus petit format de microbrasserie. 2500 litres, ce n’est pas si énorme et c’est seulement 5 fois plus gros que notre cuve matière (à Montréal). On se disait donc que les « scale up » seraient plus faciles à faire. Au début, on brassait entre 1 et 2 fois par jour pour remplir un fermenteur. Aujourd’hui, c’est entre 1 et 4 fois. C’était aussi clair pour moi que je voulais garder la flexibilité de faire des expérimentations en plus petit volume. Donc un petit « brewhouse » me permettait cette flexibilité-là. En plus, quand tu travailles avec des ingrédients super chers, le fait d’être plus petit est un bel avantage!
Brasser cinq fois plus gros ne veut pas nécessairement dire que tu devras multiplier ta recette par 5. Pour certains ingrédients, ce sera 4,5, pour d’autres 5… Car les ratios surface volume sont différents. J’ai essayé de garder une constance dans la géométrie des fermenteurs, ça ça aide, mais on travaille avec deux systèmes de brassage différents. À Saint-Jérôme j’ai 5 vaisseaux, ici j’en ai 2… donc le « mash » et le soutirage se font dans la même cuve. À Saint-Jérôme, c’est séparé. C’est sûr que ça change un peu le profil des bières.
L’eau à Saint-Jérôme est plus douce, à Montréal elle n’est pas extrêmement dure, mais elle est plus minéralisée. À Saint-Jérôme, on va donc travailler avec un peu plus de sel, mais on n’a pas besoin d’acides pour contrôler le pH. À Montréal, c’est l’inverse! On ajoute moins de sels minéraux, mais on doit parfois travailler avec des acides pour rentrer dans nos normes au niveau du pH.
Il y aura donc une phase plus « test » lors des 2-3 premiers brassins, puis une fois que c’est fait ça devient plus facile ensuite.
À quel moment as-tu commencé à travailler avec une équipe de brassage et qu’est-ce que ça a apporté à DDC!?
À Montréal, j’ai été un moment à la tête de la brasserie et Stéphane m’épaulait beaucoup au niveau de l’exécution. La charge de travail augmentait, donc ce n’était plus possible pour Stéphane de brasser avec moi. C’est à ce moment qu’on a embauché notre premier brasseur : Serge Durand, au début des années 2000. Il avait été notre technicien de laboratoire à la maîtrise et avait pris une retraite hâtive à un moment où le gouvernement essayait de réduire la taille de l’état. Il avait pris le « package »! Serge était encore très jeune pour « ne rien faire à la maison » donc ça lui convenait de brasser 3-4 jours par semaine avec des jeunes! Un peu plus tard, Luc « Bim » Lafontaine (maintenant propriétaire de Godspeed Brewery) a rejoint l’équipe. Luc travaillait déjà avec nous en service et il brassait aussi à la maison, il a donc rapidement commencé à me donner un coup de main au niveau des suivi de fins de semaine. Il me remplaçait lorsque je prenais des vacances aussi.
Il a pris de plus en plus de responsabilités dans la brasserie puis quand on a ouvert Saint-Jérôme, je lui ai donné le rôle de « headbrewer ». On avait déjà fait des collaborations et on brassait souvent ensemble, mais là, je lui donnais beaucoup plus de latitude.
Je suis resté impliqué au niveau de l’horaire de brassage, mais au jour le jour, c’est vraiment lui qui a pris la charge. J’ai été chanceux! J’avais quelqu’un de confiance, qui connaissait la bière et qui apportait de bonnes idées. Lorsqu’il est parti dans le but d’ouvrir sa brasserie, j’ai ensuite pu travailler avec différents brasseurs. Certains venaient parfois de mon équipe de Saint-Jérôme : ils avaient envie de plus petit ou de créer des bières ou tout simplement parce qu’ils vivaient à Montréal. David Meunier (maintenant brasseur en chef aux Quartiers Belle-Gueule) est resté longtemps en poste. Pascal aussi c’était ça! Au début, je ne leur donnais pas tout à fait la même latitude qu’avec Bim (rires) mais après quelques temps, je passais le jeudi pour jaser des dossiers en cours et c’est tout!
Pour Saint-Jérôme, ce n’est pas tant la direction brassicole que j’ai laissée, mais plutôt la direction de production. J’ai compris avec le temps que de gérer des horaires et des besoins de production, ce n’est pas ma tasse de thé! (Rires). Avant, je gérais ma brasserie avec des petits collants sur un calendrier! Quand tu gères une petite brasserie, ça fonctionne bien. Quand tu as trop de fermenteurs, ça marche pu pantoute!
On était à un moment où tout ce qu’on brassait se vendait, donc on brassait puis on s’arrangeait avec les ventes après. Lorsque tu tombes dans une dynamique de planification des bons volumes, car si tu brasses trop d’un produit tu vas rester pogné avec… Oups! C’est plus la même chose! Ceci vaut aussi pour les commandes d’étiquettes.
Rapidement, Martin Audet a pu prendre ce volet. Aujourd’hui j’ai la chance de compter sur Samuel Tremblay (directeur de production) à ce niveau. J’ai aussi une belle équipe de brassage qui propose des idées, qui prend une plus grande place dans la conception.
J’ai donc rapidement compris que la gestion, c’était moins pour moi. Aujourd’hui, je reste plus impliqué au niveau de la direction artistique brassicole!
Comment travailles-tu lorsque tu créés des bières? Où puises-tu ton inspiration? Le marché t’influence-t-il beaucoup?
C’est certain que le marché peut m’inspirer quand il s’agit d’un style que j’ai envie de brasser! Mais je ne brasse jamais un style qui ne me plaît pas. Il peut arriver que je goûte à des bières qui me font tripper et que je décide d’en faire ma propre interprétation. Parfois, je décide aussi de réinterpréter d’ancienne recettes. Pour la Boire Prague et Mourir, c’est un peu ce qui s’est passé! J’ai réinterprété une Bohemian Lager que je brassais déjà, mais avec un autre angle. Quand je veux créer une nouvelle bière, je vais écrire un canevas de recette puis je vais en parler avec mon équipe. Souvent, les premiers tests sont faits à Montréal.
Donc la Boire Prague, c’est une évolution de l’Élixir Céleste?
Oui, mais pour l’Élixir Céleste j’utilise du houblon Sterling, qui est une variété de Saaz, mais nord-américaine. Elle est un peu plus épicée, un peu plus citronnée aussi. Quand j’ai fait mon voyage en République tchèque, j’ai tellement trippé sur les arômes des lagers, le profil du malt et l’herbacé du houblon… Ça tu l’as vraiment juste quand tu travailles avec du Saaz, avec un IBU super bas. Bref je me suis dit que j’utiliserai la même levure, mais que je retravaillerai le malt et l’houblonnage. C’est comme ça que la Boire Prague est née.
Tout à l’heure, on parlait de bières qui ont marqué l’histoire de DDC!. Peux-tu nous parler de la Moralité et de ton amitié avec John Kimmich?
J’ai connu John via le Vermont Pub & Brewery car il y a été brasseur pendant longtemps. Il était donc un super bon ami de Greg Noonan. On se revoyait dans les festivals et comme il aimait la bière que je faisais, il passait toujours au brouepub quand il était à Montréal. Lorsqu’il a finalement parti The Alchemist, j’allais toujours le voir quand je passais au Vermont. C’était extraordinaire ce qu’il brassait sur place. Son portfolio de bières était très houblonné, il « poussait des affaires », c’était différent. Lorsque sa bière Heady Topper est devenu hyper populaire, les gens déboulaient à Waterbury pour y goûter. On parlait de sa façon d’houblonner et c’était intense. Scientifiquement on avait une autre approche. C’était intéressant.
Une année, Luc (Bim) avait lancé l’idée de faire une série de collaborations avec différents brasseurs. On a donc évidemment demandé à John si ça lui tentait. Il voulait faire une version de sa Focal Banger avec moi au brouepub. Il m’a envoyé la recette, puis on l’a retravaillée à deux. Je travaillais beaucoup avec le houblon Citra, lui préférait le Simcoe, que j’utilisais moins à l’époque. Je l’utilisais surtout comme amérisant, moins en aromatique. On a donc travaillé notre houblonnage et quand j’ai vu les quantités de houblons qu’il mettait à la fin, j’ai dit : « siboire! ». (Rires) Il ne mettait pratiquement rien en amertume et tout à la fin. Comme ses bières étaient bonnes, je me suis dit que ça allait marcher et la Moralité est née.
John travaille avec une levure qui est surnommée « Conan the barbarian » parce que c’est une machine de guerre! Greg l’avait sélectionnée pour ses ales et John lui avait demandé s’il pouvait utiliser sa levure pour sa propre brasserie. Greg a accepté avec plaisir. Cette levure-là a une signature particulière. John avait donc apporté sa Conan ici et on a brassé les premiers brassins avec cette levure. Cette bière-là s’est vendu en un clin d’œil. Ensuite, on a refait quelques versions pour lesquelles on a changé légèrement les houblons. J’ai entre autres augmenté la quantité de Citra et diminué le Simcoe. On aimait beaucoup la recette et on la rebrassait souvent. Éventuellement, j’ai voulu travailler avec ma propre levure pour avoir une certaine différence, afin que ce ne soit pas le « clone de ». Ce sont tout de même deux levures anglaises assez fruitées qui se ressemblent.
Lorsque John est venu au party du 25e, il a bu une Moralité et m’a dit que c’était « fucking good ». (Rires) Il est donc content de ce que cette bière est devenue avec le temps. Ça me fait bien plaisir!
À quel moment DDC! a commencé à faire des bières comme l’Exorciste?
J’ai commencé à faire des bières sures par « sour mash », puis par « sour kettle » dès le début de Dieu du Ciel!. Ça m’a toujours intéressé. Au tout début, je n’avais pas assez de cuves et de temps pour faire des bières à partir de mélanges de levures Pedio et de Bretts. Les bières n’étaient pas assez satisfaisantes à ce moment-là et donc travailler avec du sour kettle était nettement plus réaliste dans notre fonctionnement.
Quand la brasserie de Saint-Jérôme a ouvert, j’ai soudainement réalisé que j’avais de la place. Je pouvais maintenant remplir des barils et les mettre de côté. On a donc fait différents tests. Pour les premières fermentations mixtes, j’achetais des cultures de bactéries, de levures que je partais et qui me donnaient des résultats intéressants.
« On the side », j’essayais de trouver comment faire un genre de bière spontanée. J’ai essayé des choses, qui n’ont pas toujours bien viré. Donc je me suis plutôt tourné vers une culture mixte que je travaillais moi-même. Une année, Jean-Van Roy de la brasserie Cantillon est venu au Québec et a accepté de nous faire une présentation de ses bières au brouepub. Il a débarqué avec une poche de « slurry » de Lambic d’un an. Il me l’a laissée en me disant que je pouvais brasser une bière avec si j’en avais envie. Parfait! Cette année-là, on a fait une version de l’Exorciste avec ce levain comme « starter ». Ça a donné l’Exorciste la plus complexe qu’on avait faite jusque-là. Les précédentes étaient bonnes, mais ce n’était pas tout à fait la même complexité. Depuis elle a pris son propre caractère, assez différent!
On se sert aussi du levain des Exorcistes pour faire des « spin off », comme la Wild Ultra où on fait une fermentation mixte, mais d’une bière fortement houblonnée. Le houblon agit comme antiseptique sur certaines bactéries, donc le profil est différent. La bière est beaucoup moins acide, mais le côté sauvage ressort bien. Pour l’Exorciste, la maturation peut prendre jusqu’à 16 mois. Pour la Wild Ultra, c’est beaucoup plus court.
Comment as-tu rencontré Jean?
Je connais Jean depuis l’an 2000 environ, mais mieux depuis 2002. J’avais déjà visité le musée de la brasserie et rencontré son père en 2000. En 2002, on a fait un voyage en Belgique et pour assister au brassin public de Cantillon. J’avais passé la journée avec ma caméra vidéo à filmer et à poser de multiples questions à Jean. Je prenais des notes sur tout ce qu’il faisait. J’ai passé la journée à le « gosser » finalement! (Rires) Je voulais vraiment comprendre ce qu’il faisait étape par étape et pourquoi. Souvent, le pourquoi c’est parce que « c’est de même. C’est ça la tradition!». (Rires) Donc c’est vraiment là qu’on s’est rencontré. Après ça, on se croisait souvent dans les CBC (Craft Brewers Conferences) aux États-Unis et forcément, quand on parle la même langue, on a tendance à se rapprocher plus rapidement. On avait aussi le même distributeur aux États-Unis, donc on se croisait souvent dans des événements. C’est comme ça qu’on a développé une belle relation! Je vais justement le voir en novembre.
Quelle sont tes bières de prédilection, chez DDC! ou autres?
Ça c’est toujours une question compliquée! Je vis beaucoup l’instant présent dans la vie donc ça varie. C’est certain que la Péché Mortel est une bière DDC! que j’adore et qui me rend fier. Est-ce que je la bois si souvent? La réponse est non. Pas à la maison en tout cas. Je la préfère en fût ici au pub en petit verre.
Autrement, je reviens souvent à la Moralité. Le caractère, le « piny » bien balancé, le fruité, le caractère de malt un peu biscuité, la légère rondeur à la fin… Tout est là pour moi!
Sinon un Orval juste à point, avec le côté brett bien balancé, ça demeure une bière que j’adore boire. Une Heady Topper fraîche, je ne dis jamais non à ça!
Dans les bières acides, je dirais la Gueuze de Cantillon. J’adore toutes leurs variétés, mais la Gueuze demeure un classique… les notes de fermentation, le froment, tout ça!
Peux-tu nous parler de l’image de DDC!. Quelles étaient les inspirations, comment ça s’est développé?
Au niveau des inspirations, je crois que la culture brassicole belge m’inspirait beaucoup. Erych, qui est mon chum d’ado, avait fait le logo. J’ai ensuite connu Yannick Brosseau (illustrateur des premières étiquettes de DDC!) au début de la vingtaine. On avait des amis en commun et il a commencé à venir « jammer » avec nous! Je pense qu’à ce moment-là il étudiait en graphisme à l’université. Je trouvais son portfolio trippant. Quand on a commencé à faire des festivals, on n’avait pas d’étiquettes : on était un brouepub! On avait au moins des beaux petits noms romantiques! (Rires) Mais on n’avait pas de visuel. La seule étiquette qu’on avait, c’était la Fumisterie car Yannick avait utilisé cette bière pour un cours où il devait faire la mise en marqué d’un produit. On avait donc seulement l’image de la Fumisterie quand on arrivait en festival.
Tranquillement, on s’est mis à fouiller dans son portfolio d’images pour illustrer nos autres bières et on prenait ce qui fonctionnait. Quand on a commencé à embouteiller, ça nous a apparu tout naturel de continuer le travail avec Yannick. La façon de travailler a évidemment changé avec le temps. On a commencé à faire des commandes.
Comment as-tu vécu le changement d’image de Dieu du Ciel! ?
Tu vas me faire pleurer! (Rires) C’est certain que le processus a été inconfortable pour moi au début. Je ne voulais pas qu’on se retrouve avec une image de marque « toute faite », formatée. Mais j’ai vite compris qu’en dirigeant bien les collaborateurs, c’est là qu’on allait avoir quelque chose de beaucoup plus personnalisé et à notre image. Il y a eu tellement de débats!
C’est comme ça qu’on est arrivé à quelque chose que j’aime beaucoup en fait, que je trouve très efficace et que j’ai adopté. J’aime beaucoup le trait de Thaïla Khampo! Je continue de penser qu’on s’en est bien sorti car on s’est impliqué à fond.
On a aussi conservé certaines illustrations originales et je suis bien content de ça!
Où vois-tu DDC! dans les dix prochaines années? Comment aimerais-tu que la brasserie évolue?
Je pense que l’attrait de la nouveauté brassicole est peut-être un peu derrière nous… Et dans un sens c’est correct! Si on ne veut pas que ce soit juste une mode qui disparaisse, il ne faut pas miser uniquement sur la nouveauté à tout prix, mais sur les habitudes de vie.
C’est de dire que lorsque je prends une bière, il faut que ce soit un produit de qualité, complexe, goûteux et qui a sa personnalité propre. Je ne pense plus que les nouveautés vont continuer de faire déplacer les foules. Les bières doivent être réfléchies. Il ne faut plus s’attendre à révolutionner l’industrie avec un produit. Les prix doivent rester abordables. Oui nous resterons toujours un peu plus cher qu’un produit industriel car nos bières sont plus chères à produire. Mais il faut rester abordable. Par exemple, la Sierra Nevada se vend en caisse de 12. C’est la bière que les gens ont dans leur réfrigérateur. On le voit de plus en plus.
C’est donc là-dessus qu’on doit bâtir l’avenir de la brasserie je pense! Il faut rester dans les habitudes des gens et bien travailler nos produits, afin qu’ils s’intègrent dans les habitudes de consommation des gens. J’ai une vision de stabilisation de notre marché et de notre marque.